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TextUelle II, 6 Duras, La vie matérielle

édito

Bonsoir à toutes, bonsoir à tous

lorsque je me suis réveillée ce matin
j’ai pensé au Brésil
à son nouveau chef d’état élu démocratiquement
j’ai pensé à Orban en Hongrie
j’ai pensé à Trump
à Salvini en Italie
à Poutine en Russie

j’ai pensé que c’était vraiment la mode du muscle
j’ai pensé qu’on était loin très loin, de plus en plus loin de la parité homme-femme au pouvoir
parce que je ne voyais pas Angela Merkel faire un selfie à cheval torse nu.

et je me suis sentie un peu oppressée.
Je me suis dit : qu’est-ce que je peux faire ?
Et aucune réponse ne m’est venue.

j’ai pensé à ce poème
Quand ils sont venus chercher les communistes, Je n’ai rien dit ; Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, Je n’ai rien dit ; Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs, Je n’ai rien dit ; Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques, Je n’ai rien dit ; Je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher, Et il ne restait plus personne pour protester.

Puis je me suis levée. Il faisait beau.
C’était mercredi, jour du marché.
J’ai pensé à Porthos, dans le Vicomte de Bragelonne, et à son emploi du temps.
Pour lui le mercredi c’est le jour des plaisirs champêtres.
D’Artagnan s’étonne : « mercredi, le jour des plaisirs champêtres ? »
On lui répond :
« oui, monsieur, nous avions tant de plaisirs à prendre dans ce délicieux pays que nous en étions encombrés ; si bien que force a été pour nous d’en régler la distribution.
Dimanche, plaisirs religieux
lundi plaisirs mondains
mardi plaisirs savants
mercredi plaisirs champêtres
jeudi plaisirs olympiques
vendredi plaisirs nobles et guerriers
samedi plaisirs spirituels »

Alors j’ai décidé de faire une chose après l’autre moi aussi.
Et je suis allée au marché.
Et j’ai bien pris le temps, dans la file d’attente, de regarder tout le monde.
Et devant l’étal de la poissonnerie, bébordante de victuailles, avec ma voisine de queue
on a détaillé tous les poissons.
Moi je savais ce que je voulais et il y avait ce que je voulais. J’étais bien tranquille.
Mais elle, malgré l’abondance, il lui manquait du lieu qu’elle adore.
Elle était inquiète et tourmentée.
Heureusement l’attente fut bien longue.
Je lui ai recommandé les maquereaux, ils étaient beaux et gros et luisants et violets.
Mais elle les a trouvés trop chers. Elle avait raison.
Je lui ai dit que je n’aimais pas la lotte.
Elle pareil.
Le merlu, le merluchon, bof, la chair est flasque.
Et le bar ?
Ils sont petits.
La daurade je n’en a même pas parlé, trop d’arêtes.
Je lui ai dit moi je prends de la raie, c’est vrai que c’est tout visqueux et répugnant, ça colle aux doigts comme de la bave de fantôme, mais c’est très bon et y’a pas d’arêtes.
Elle m’a bien écoutée. Elle avait une conversation agréable.
Elle a pris un merlu, ou un merlan.

Je suis rentrée.
J’ai fait un bon repas.
J’ai décidé de suivre un emploi du temps moi aussi.

Et de relire
La vie matérielle de Marguerite Duras.

Je vous ai lu Le début e La vie matérielle de Margurtite Duras paru chez POL en 1987