Indéniablement, beaucoup de choses ont déjà été dites sur le HELLFEST et force est de constater que ce festival mérite toutes sortes de superlatifs. Cette année, la seule solution pour voir IRON MAIDEN était d’aller à CLISSON. Même chose pour MOTLEY CRUE et DEF LEPPARD. Pour KISS, il n’y a qu’une seule session de rattrapage, à LYON. PANTERA se reforme à l’occasion d’un seul concert en France et devinez où ? Cette affiche n’est que la partie émergée de l’iceberg. Descendant juste en dessous, le regard se fixe sur ARCH ENEMY, IN FLAMES, AMON AMARTH… Et si on descend encore un peu, les pépites sont innombrables, qu’elles soient connues (THE HU, reconnu par l’UNESCO) ou plus confidentielles (KAMIZOL-K, on y reviendra !).
Pour parler du HELLFEST cette année, nous avons choisi de nous focaliser sur des parties moins visibles, périphériques pour certaines mais qui constituent une partie de l’écosystème qui permet à la grand-messe de se dérouler.
Notre premier zoom se fera sur une petite maison de production Nantaise nommée Les acteurs de l’ombre ou « LADLO » pour les intimes. Première particularité : il s’agit d’une association Loi 1905 ! Gérald MILANI, Président de l’association, est bénévole. C’est aussi le cas d’Amandine qui gérait les rencontres comme celui de l’ensemble des personnes qui animait le stand sous la tente METAL CORNER. LADLO est composé d’une trentaine de membres, tous bénévoles et animés par la passion commune de la musique, du BLACK METAL en particulier. Le BLACK METAL est un sous genre particulier du METAL. Il se joue très vite, il s’en dégage une atmosphère très particulière. Son public est fidèle mais ne représente qu’une petite partie de la grande famille des Metaleux. C’est une difficulté supplémentaire pour les groupes pour trouver des dates en France. Le statut associatif des acteurs de l’ombre prend ici tout son sens. Ils s’appuient sur un réseau patiemment tissé auprès des associations (qui peuvent devenir partenaires) qui organisent des spectacles et auprès des petites salles pour promouvoir les groupes qu’ils soutiennent, comme par exemple à GLOMEL pour le KREIZ Y FEST. Leur engagement à la cause du Metal est total. LADLO est composé de passionnés qui offrent leur temps. Il ne s’agit pas d’une maison de production qui cherche des bénéfices maximums en influençant ou cherchant à contrôler les créations des groupes qu’elle promeut. Voyons cela plus comme une chrysalide pour les futurs talents. L’association déniche les jeunes groupes prometteurs en France et leur permet de produire leur musique, la distribue et en fait la promotion. Grace à ce (gros) coup de pouce et leur talent, quelques groupes de LADLO ont pu passer à l’échelon supérieur comme « Regarde les hommes tomber » ou « Déluge ». Le travail des « acteurs de l’ombre » ne va guère plus loin. Ils mettent le pied à l’étrier mais leur taille ne leur permet pas de les accompagner à l’international. Les groupes qui commencent à prendre de l’ampleur et de la reconnaissance continuent donc leur évolution sous d’autres cieux.
Et comme nous parlons de passionnés, vous pourrez croiser LADLO dans différents évènements de la scène Metal. Sans doute avez-vous entendu parler des « feux de Belthane » ? C’est eux en association avec entre autre quelques brasseries régionales. Un petit festival avec des artisans, de la bonne bière, de la bonne musique, et bien entendu des passionnés. Depuis l’année dernière, ils co-animent le « Satanas Ebrietas Conventus » qui s’est déroulé cette année à la brasserie de l’Apocalypse à Bois-Jérôme-Saint-Ouen dans l’Eure, les 21 et 22 juillet avec une jolie petite affiche ! La rencontre du Metal et de la bière a toujours été une évidence !
Leur quête pour la promotion du Metal ne s’arrête pas en si bon chemin. De leur boite à projet pourrait bientôt sortir un jeu de société ! Un crowfunding sera ouvert en octobre pour financer ce projet. Enseignant, Gérald a également monté un projet avec ses élèves qui mêle éducatif et passion de façon très intelligente. En trois minutes, il explique le parcours d’un groupe de sa découverte à la signature de son contrat chez LADLO. Vous pouvez retrouver le lien ici : https://www.parcoursmetiers.tv/video/15182-de-lombre-a-la-lumiere
Le HELLFEST donne de la visibilité et génère une dynamique qui entraine dans son sillage des petites maisons de production spécialisées comme LADLO. Mais savez-vous qu’à GUICHEN, près de RENNES, se trouve une des plus grosses maisons de production mondiale pour les catégories indépendant, punk et hardcore ? Elle a été créée initialement pour soutenir TAGADA JONES au niveau administratif. Sortis de l’Underground, TAGADA JONES s’est créé un réseau pour pouvoir se lancer et évoluer. Les groupes-amis ont pu en profiter, agrandissant ainsi le réseau et lui donnant plus d’inertie. Nous avons croisé NIKO, qui nous a parlé de sa double casquette producteur / musicien.
Enragé production a intelligemment réussi à étoffer son catalogue dans d’autres styles de METAL, ce qui en fait aujourd’hui une maison de production très complète qui présente en moyenne une quinzaine de groupes par édition du HELLFEST. Vous pouvez trouver ses groupes dans à peu près tous les événements dédiés au métal. Par exemple, pour la soirée « Solidarité PLEYBEN » Rage Tour a placé LOUDBLAST, CELKILT et LA PHAZE.
Ces maisons de production locales donnent leurs chances aux groupes émergents, et le HELLFEST est pour eux une vitrine fantastique qui permet de braquer les projecteurs sur des groupes méritants mais peu connus. CRISIX, booké par « RAGE TOUR », a ainsi remplacé au pied levé INCUBUS sur la MS2 le dimanche, à 18h40. Soit en pleine affluence de la MS2 !
Un autre groupe a eu les projecteurs braqués sur lui, au sens littéral du terme. Il s’agit de KAMIZOL-K, groupe Lyonnais de HARDCORE tendance thrash, que nous avons pu rencontrer. Ils jouent avec un hurleur et une hurleuse, qui mêlent des timbres de voix différents à une musique qui mélange les tempos rapides à quelques passages plus lents. Ils ont gagnés le « Voice of Hell », le tremplin du HELLFEST, ce qui leur a donné le privilège d’ouvrir le festival sur la WARZONE, le jeudi pendant 40 minutes. Une énorme promotion pour un groupe amateur, qui leur ouvre le champ des possibles ! Le HELLFEST les a mis en avant, sur une scène mythique avec un son parfait. C’est une date qui va leur permettre de gagner en légitimité lorsqu’ils postuleront pour d’autres festivals, qui va booster le nombre de vues sur internet et leur visibilité dans le milieu Metal. En contrepartie, le HELLFEST a été largement récompensé par la prestation de KAMIZOL-K ! La WARZONE s’est très rapidement remplie et le show a été tout simplement parfait. Le groupe, tout d’abord, a communiqué une énergie folle au public. Tous les musiciens ont interagi avec la fosse, en les haranguant, en bougeant sans cesse, et surtout par la qualité de leurs morceaux et un sens inné du spectacle. Le public ainsi chauffé à blanc s’est mis en ordre de bataille et a chargé à de multiples « Wall of death » ! Sans vouloir faire offense à KAMIZOL-K, peu de monde devait connaître leurs morceaux, mais dans l’enthousiasme général, le concert s’est déroulé comme si le groupe était une tête d’affiche.
KAMIZOL-K tourne avec son propre ingénieur son, qui garantit au groupe la maîtrise de sa sonorité. C’est un peu le membre invisible du groupe, celui que l’on ne nomme pas ! Mais il leur apporte la sérénité sur scène en les libérant d’un travail éprouvant et fastidieux.
ACOD, une des têtes d’affiches des Acteurs de l’ombre, a délivré un set puissant sous la TEMPLE et qui a été chaleureusement salué par le public présent le vendredi en début d’après-midi. A moins d’avoir une connaissance assez fine de la scène Metal, il y a peu de chances pour que vous ne les connaissiez. C’est une erreur ! Issus de la scène Marseillaise, ACOD joue du Black Metal, tendance Death, ce qui n’en fait pas une porte d’entrée très facile pour un néophyte. Mais la qualité de leur musique leur a permis de jouer avec des groupes comme Arch Enemy, Cannibal corpse, Cradle of filth ou encore Napalm death, tous des références dans leur genre ! Pour des groupes comme ACOD issus de sous genres très spécialisés, l’accès aux salles de concerts dépend de la vitalité de la scène Metal, de la quantité et de la qualité et tout autant que de la taille des évènements tout au long de l’année. En ce sens, le Hellfest est une sacrée locomotive. Il permet à une multitude de groupes de jouer sur des scènes énormes, devant un public dense, et tire les autres évènements vers le haut en dynamisant la scène.
Mais cette locomotive, si puissante soit elle, ne peut pas à elle seule tirer toute la scène Française. Pour cela, il faut un travail de fond, un lobbying tout au long de l’année pour capitaliser sur cette visibilité. Pascal GUEUGUE a lancé fin 2022 la Fédération des Musiques Métalliques en ce but précis. Le but de la Fédération est de structurer, de coordonner et d’aider le développement du Metal en France. L’idée est d’avoir une parole forte et unie pour que tous les acteurs puissent avoir une force de frappe. La Fédération se donne pour ambitions d’agir sur tous les leviers possibles, depuis l’aide aux groupes jusqu’au lobbying auprès des institutions, des politiques, en passant par le conseil à tous les petits festivals associatifs. Que ce soit pour monter des prévisionnels, aider à communiquer, travailler en réseau, la Fédération peut apporter un soutien varié et conséquent.
L’offre Metal existe en effet partout en France, mais elle manque de structuration. Il suffit de regarder les sites d’annonces de dates Metal pour constater que le tissu est là, mais sa visibilité n’est pas extraordinaire. Il est en effet rare de voir une affiche collée au hasard pour un petit évènement près de chez soi. Pour connaitre les dates, le Metaleux va devoir être actif, faire ses recherches, s’informer. Certes, les petites salles se remplissent par le bouche à oreille, par le biais d’annonces sur les réseaux sociaux. Cependant, les dates restent tout de même confidentielles...
Un autre constat peut facilement être fait : lors de ces dates locales, beaucoup de groupes locaux jouent. Et les surprises sont généralement bonnes, voire très bonnes. Or, pour favoriser l’émergence de ces groupes, il faut des dates, des associations pour organiser les évènements, des salles qui fassent confiance à ces associations. Certaines de ces salles reçoivent des financements publics, ce sont les SMAC (Scènes de Musiques ACtuelles). En contrepartie, elles sont censées diffuser de la musique pop rock… Dans les faits, on peut oublier le rock, et encore plus le Metal ! C’est un peu un ouroboros, il faut lancer la spirale, lui permettant d’atteindre une inertie critique qui entretiendra le mouvement… En prouvant que le Metal peut être un écosystème rentable, nous pouvons espérer que certaines portes s’ouvrent. Et c’est là que le HELLFEST devient très important pour la scène Metal : c’est la vitrine par excellence, le festival de musique au plus gros budget national, « The place to be » ! Certains reprochent au festival d’avoir perdu de la fraicheur, d’être devenu une usine à cash envahie de touristes. C’est oublier qu’au-delà des reproches, le festival met le Metal en valeur de manière positive, en cela il contribue à l’acceptation de ce type de musique par l’opinion. Moins le Metal fera peur, plus le Metal sera normalisé (au sens accepté par les gens, surtout pas préfabriqué par l’industrie musicale française, l’exception culturelle ayant fait assez de ravages comme ça !), et plus il sera facile de convaincre des salles et des partenaires de se lancer dans de nouveaux évènements.
Patrick ROY a œuvré en son temps positivement pour le Metal, Christine BOUTIN également (mais à son corps défendant !!!). Depuis, aucun politique ne s’est emparé du sujet. La Fédération des musiques Métalliques peut aider à faire émerger un nouveau chantre, aidant à structurer toute la filière de la base (les groupes locaux) en passant par la distribution, les salles, les associations. Tout le monde y gagnerait. Les metaleux, forcément, mais au-delà les acteurs et plus généralement, la société. En 2014, Laurence PARISOT, pourtant ancienne présidente du MEDEF, s’est opposée à la réforme du régime des intermittents. Pour elle, la culture française fait rayonner la France à l’International. C’est le fameux « soft power ». CARHAIX s’est par exemple développé grâce aux VIEILLES CHARRUES. Pour le HELLFEST, outre les retombées pour CLISSON, le rayonnement est encore plus important, c’est devenu un évènement international. Ce n’est plus le HELLFEST qui court après METALLICA, ce sont les groupes qui postulent pour venir y jouer. Et ce rayonnement, s’il est difficilement quantifiable, est positif pour le pays mais également pour l’ensemble de la filière tricolore. Le festival peut aujourd’hui servir de locomotive à tous les Metaleux de bonne volonté. Si l’on y croit et qu’on relève les manches, il n’y a pas de raisons pour ne pas y arriver. Et tout agnostique que je sois, je finirai ce report par une petite prière : Sainte Christine, growlez pour nous !