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Hold up ! - Avec les Apaches

Dérailler l’agro-industrie, retour sur image.

Radio U a suivi les militants du collectif Bretagne Contre les Fermes Usines lors de leur action contre le train de céréale à Noyal-Pontivy.

Hold up - Reportage
10min58s

Le matin du samedi 19 mars, des militants agissants au nom du collectif Bretagne Contre les Fermes Usines se sont réunis pour une action choc contre l’agro-industrie en centre Bretagne : l’arrêt d’un train de céréales et le déversement au sol de son contenu en blé, en amont de l’usine de transformation d’aliments pour animaux. Le collectif voulait faire réagir, c’est réussi : depuis, un flot d’articles, de déclarations scandalisées de dirigeants politiques et de lobbyistes, d’insultes sur les réseaux sociaux, et même de menaces de mort, est dirigé vers les militants.

C’était le risque, c’est sûr : dans un contexte d’inflation, de hausse des prix du blé et de l’énergie, et d’inquiétude de l’ONU concernant un possible « ouragan de famine » dû à la guerre en Ukraine, l’image de ces tonnes de céréales à terre est amère, et constitue l’assurance de critiques violentes. Celles-ci sont le prix à payer pour interpeller et attirer l’attention du public sur un modèle agricole intenable. Les militants savaient dans quoi ils s’engageaient : contrairement à ce que se plaisent à affirmer de nombreux médias, ils ne se sont pas trompés en pensant arrêter un convoi de soja « tout droit importé d’Amérique du Sud ». Ils étaient tout à fait conscients de la possibilité d’un contenu en blé, et bien qu’ils savaient que cela engendrerait une réaction plus mitigée, cela ne changeait aucunement les raisons de leur action.

Il est aisé de s’indigner face à l’action et de s’en prendre à ses auteurs. Il l’est moins de remettre en question un système agricole industriel, productiviste et mondialisé. 162 tonnes : c’est la quantité de blé perdue samedi, sur un chargement de 1320 tonnes, dont le reste a pu être récupéré. Selon les données de FranceAgriMer, plus de 4 millions de tonnes de céréales sont "mises en oeuvres" par les fabricants d’aliments pour l’élevage, par an, en Bretagne. Cela représente plus de 330 000 tonnes par mois, 11 000 par jour. 162 tonnes, c’est 1,4 % des céréales destinées à la transformation pour le cheptel breton sur la seule journée de l’action.

A l’échelle mondiale, l’agriculture industrielle représente les trois-quarts de la surface agricole cultivée, mais seulement 25 à 30% de la nourriture consommée. La moitié de celle-ci est destinée à l’alimentation animale. En outre, selon la FAO, il faut 7 kilocalories végétales (céréale) pour produire 1 kilocalorie de produit animal (viande). Où est le gaspillage ? La généralisation d’un régime un peu moins carné pourrait libérer des quantités significatives de surface agricole et augmenter la disponibilité de la production pour la consommation humaine.

Le 18 mars, 450 scientifiques publient en commun, sur le site du Potsdam Institute for Climate Impact Research, un appel à un changement fondamental de consommation. La crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine est représentative du dysfonctionnement du système alimentaire global, et la réponse ne doit pas être d’augmenter la production au détriment des régulations environnementales : selon Sabine Gabrysch, une des co-autrices, « l’insécurité alimentaire globale n’est pas due à un manque de stock de nourriture, mais a une distribution inégale. Il y assez de production pour nourrir le monde, même aujourd’hui pendant la guerre. Toutefois, les céréales sont utilisées pour l’alimentation animale, comme agrocarburants, ou gâchées, plutôt que de nourrir les affamés ».

Le rapport donne trois leviers pour la mise en place d’un système agricole résilient en temps de crise comme sur le long terme, bénéfique pour l’environnement et pour l’humain :
 Du côté de la demande : diminuer la quantité de viande dans les régimes des pays développés.
 Une politique agricole européenne plus verte, augmenter la production de légumineuses, réduire les intrants chimiques et fossiles.
 Réduire le gaspillage alimentaire : la quantité de blé gaspillée dans l’Union européenne est à peu près équivalente à la moitié de la quantité de blé exporté par l’Ukraine.

On rappellera en outre, bien entendu, que les dégâts de l’agro-industrie et de l’élevage intensif ne se limitent pas à leur inefficacité : émissions de gaz à effet de serre, pollution des sols et de l’eau, perturbateurs endocriniens, propagations de virus, destruction de la vie des sols, souffrance animale…

Les militants sont accusés de gaspillage, et même de terrorisme par la FNSEA. Leur action n’a fait que mettre en évidence un gaspillage systémique réellement criminel.

31/03/2022

Sources :

https://www.letelegramme.fr/morbihan/pontivy/train-bloque-a-noyal-pontivy-162-tonnes-de-ble-perdues-25-03-2022-12960045.php

https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/fabrication-daliments-pour-animaux-historique-des-incorporations-et-stocks-biologiques-depuis-2000/

https://www.pik-potsdam.de/en/news/latest-news/food-crisis-due-to-ukraine-war-calls-for-action-less-meat-less-waste-and-greening-eu-agricultural-policy

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01995110/document